Flambeau 29 (2003)
Revue Annuelle de la Section Française
Université des Langues Etrangères, Tokyo (TUFS)
Comité de Rédaction
Yoshinari NISHINAGA, Yoichiro TSURUGA, Akira MIZUBAYASHI,
Hisao MATSUURA, Yuji KAWAGUCHI (dir.)
Hirotoshi KOTO, Midori KAWASAKI, Yukiko TAKAHARA
Section de fran¸ais, Université des Langues Etrangères, Tokyo
3-11-1 Asahi-cho Fuchu, Tokyo, 183-8534 Japon
Tel/Fax 042-330-5240

 

Table des matières
 
  Des fonctions de l'intonation : Essai de synthèse FÓNAGY Ivan
1-20
Etudes linguistiques
  Temps et connecteurs - dans le récit à l'oral spontané SHIODA Akiko
21-40
  Apposition et expansion NAKAO Kazumi
41-56
  Une réflexion sur le nom sans déterminant KAWASHIMA Koichiro
57-74
  Maurice Gross et le lexique-grammaire (deuxième partie) NAKAMURA Takuya
75-92
Etudes littéraires
  Rêves et mirages proustiens YANAGIDANI Miwa
93-111
  La morale de l'être et la morale d'au-delà de l'être Sartre et Lévinas SUZUKI Masamichi
113-128
  Lire Journal du dehors et La vie extérieure d'Annie Ernaux au cours du fran¸ais langue étrangère OMIYA Shiho
129-143
 Notes
  Vous habitez sur Aix ? SANO Atsushi
145-154
 Comptes rendus
  Languages within Language An evolutive approach, Amsterdam, John Benjamins, I. Fónagy, 2001 NAKATA Shunsuke, KAWAGUCHI Yuji
155-178
Résumé de thèse, troisième cycle
  La phrase non-verbale en fran¸ais KAWASHIMA Koichiro
179-184

Temps et connecteurs – dans le récit à l'oral spontané
Akiko SHIODA

Dans le récit à l'oral spontané, même dans lequel on pourrait penser qu'il n'y a aucune structure particulière, les temps du verbe et les connecteurs ( ou « articulateurs », ou bien encore « ligateurs » ) jouent un rôle non négligeable au niveau de sa structuration. Pour un récit, la construction est cruciale pour la transmission exacte du message, c'est-à-dire, le but de raconter l'épisode tout comme son contenu. Nous avons essayé, dans cet article, de saisir la structure du récit à l'aide de la notion « continuité / discontinuité » et de rendre compte des fonctions du temps et des connecteurs alors, et et Ø.
Parmi les temps verbaux, ce sont le présent de narration (PN) et le passé composé de narration (PCN) qui sont utilisés pour construire l'intrigue de l'épisode, le cours global du récit. Avec ces deux temps-là, le locuteur présente un fait tantôt comme une surprise, tantôt comme un dénouement, comme une simple succession, etc. Avec le PCN, qui est un des « emplois » du passé composé, le locuteur se renvoie au moment de l'énonciation T0 à chaque apparition du verbe, ce qui conduit à la discontinuité de procès entre eux. En revanche, une suite d'énoncés au PN nous donne « une impression de légèreté, récit rapide » (Mellet, 1980:8) donc de la continuité, et le passage du PCN au PN provoque l'introduction d'une nouvelle scène. Ceci est dû à la propriété générale du présent. Le présent étant une forme « non-temporelle » du verbe, l'énonciateur n'est pas obligé de se situer à T0 à chaque fois et donc le PN est apte à situer les procès dans un espace indéterminé sans ancrage sur l'axe temporel. En passant, nous faisons remarquer que l'imparfait, malgré son usage assez fréquent dans le récit, n'a pas le rôle de former la colonne vertébrale du récit. Il est là juste pour fournir des informations, importantes certes, mais secondaires.
Les connecteurs servent de sa part à renforcer, assurer ou à atténuer l'effet produit par les temps. Parmi les connecteurs que nous avons traités, alors marque la continuité et et va dans le sens de discontinuité. Quand il n'y a pas de connecteurs, l'effet du temps apparaît dénudé, donc direct et plus fort.

Apposition et expansion
Kazumi NAKAO

L'apposition, que nous définissons comme une construction où deux groupes nominaux entretiennent une relation prédicative sans être liés par aucun élément médiateur, est constituée de deux séquences: le support (séquence référentielle qui est à prédiquer), et l' apposé (séquence non-référentielle prédiquant le support).
(1) Rennes, (une) ville de 200000 habitants, se situe en Bretagne,
L'apposé est soit articulé, soit non-articulé, mais quand il est sans article, il exige souvent une expansion, sans laquelle l'apposition serait souvent inacceptable.
(1') ?? Rennes, ville, se situe en Bretagne,
Cette inaptitude vient du fait que l'apposé, qui n'est pas doté d'une fonction syntaxique dans sa phrase hôte, est une unité extrêmement instable, et demande, par conséquent, à être soutenu par une expansion qui lui donne sa stabilité comme groupe nominal. Il est instable, mais en même temps il est souple, et cette souplesse lui permet de fonctionner comme un complément circonstantiel, une fonction qui n'est pas permise pour l'apposé articulé.


Une réflexion sur le nom sans déterminant
Koichiro KAWASHIMA

Un nom peut apparaître sans déterminant, soit dans une phrase verbale (ex.Théâtres et cinémas sont fermés ce soir), soit en tant que prédicat nominal (ex.Menteur! / Courage!). Ce phénomène est analysé généralement, nous semble-t-il, d'un point de vue sémantique, tandis que ses aspects syntaxiques sont plutôt négligés. L'objectif de cet article est de mettre en évidence un caractère syntaxique original du nom sans déterminant : sa tendance à apparaître dans des énoncés dont il n'a pas besoin de déterminer le reste du contenu. Si l'on met souvent en doute son statut de nom (ex.Pierre est professeur / J'ai très peur), en effet, ce n'est pas seulement parce qu'il s'agit d'un monème qui n'est pas accompagné de détermination nominale, mais aussi parce qu'à la différence d'un syntagme nominal défini ou indéfini en position de sujet ou d'objet direct, il ne détermine pas nettement les autres éléments de l'énoncé.


Maurice Gross et le lexique-grammaire (deuxième partie)
Takuya NAKAMURA

La deuxième partie de notre article détaille l'itinéraire suivie par Maurice Gross et son équipe de recherche du LADL dans le domaine du traitement automatique de la langue naturelle.
Depuis le milieu des années 80, la création du système des dictionnaires électroniques du LADL, baptisé DELA, a été entreprise, en même temps que la mise au point de l'interface du TALN exploitant l'étiquetage systématique de textes électroniques : INTEX.
INTEX et ensuite UNITEX, qui a la particularité de manipuler Unicode et de pouvoir traiter les langues sans séparateurs, permettent d'appliquer les dictionnaires électroniques aux textes électroniques d'une langue donnée et de parcourir ensuite le texte ainsi étiqueté au moyen des grammaires locales sous forme de RTN.
L'évolution des techniques informatiques du TALN a donné une possibilité nouvelle d'utilisation des données syntaxiques et lexicales du lexique-grammaire. En effet, il est désormais possible d'exploiter sous forme de grammaires locales les données du lexique-grammaire sur la syntaxe, afin d'analyser un texte électronique.
Avec ce nouvel outil d'investigation du lexique et de la syntaxe de la langue naturelle, le LADL ne cesse d'évoluer, et cela sans se séparer des idées laissées par Maurice Gross.


Rêves et mirages proustiens
Miwa Yanagidani

Dans la perspective de ce qu'on pourrait appeler l'écriture intransitive, si toute inscription est toujours réinscription plus ou moins élaborée des invitations de la mémoire, les formes diverses d'une constance ne manqueront pas d'apparaître à celui qui écrit, du fait même de la permanence que chacune a dès lors acquise. Il faudrait également tenir compte de ce que la mort permet. En effet, quelque chose d'autre se produit, discernable dans le saut qualitatif que présente La Recherche par rapport aux écrits antérieurs, quelque chose qui a rapport avec une certaine vérité là où la mort y est engagée. De fait, La Recherche est l'œuvre d'un écrivain qui a perçu les liens indissolubles qui existent entre la maladie et la mort et qui a épié le jour où la maladie élit dommicile dans le corps avant de le tuer. Par ailleurs, le choc de la mort de Madame Proust en 1905 lui fait prendre conscience que la mort n'est pas toujours anthropomorphique. Frappé d'amnésie, Proust s'effondre dans un anéantissement accompagné de cette question angoissée : «Pourrais-je trouver la vie là où est la mort ?» Mais c'est précisément quand on est à l'agonie que l'on peut se rendre compte d'une autre réalité de la vie. Il est connu que toute personne aux approches de la mort voie des images et passe en revue son passé. A plus forte raison, on ne peut donc pas voir ces réalités si l'on est pas mort à soi-même avant de mourir. La structure de La Recherche constitue le récit de ce type de «voyage», parsemée de «moments privilégiés» précédés par des sensations de vacillation et de tourbillonnement où le héros, ravi à lui-même, en revient comblé d'une félicité qu'il n'arrive pas à s'expliquer. Les expériences de ce type sont attestées par les traditions anciennes, dont la préparation intellectuelle est philosophique au sens défini par l'Oracle de Delphes : «Connais-toi toi-même», repris et complété plus tard par formule soufie: «Qui se connaît soi-même connaît son Seigneur (=sa vocation)». Platon dira à ce sujet que «les véritables philosophes s'exercent à mourir et la mort est moins terrible pour eux que pour aucun autre homme». Ainsi, la démarche de Proust pourrait être qualifiée de combat contre le Temps qui a détruit sa mémoire, dont la victoire serait obtenue dans une mémoire passionnelle qui doit elle-même s'actualiser dans un acte original d'écriture, dont les trois réminiscences qui parviennent au moment où le héros se rend à la matinée chez la princesse de Guermantes illustrent l'illumination finale et définitive qui lui a permis d'accéder à l'essence des choses.


La morale de l'être et la morale d'au-delà de l'être Sartre et Lévinas
Masamichi SUZUKI

Plus de vingt ans après sa mort, on dit toujours que Sartre se trouve dans le purgatoire, le mot qui n'est, semble-t-il, qu'un euphémisme de l'oubli. Par contre, Lévinas, qui a été si peu lu pendant l'époque des « existentialistes », est aujourd'hui fort demandé. Le présent article a pour objectif de réfléchir sur l'actualité des deux philosophes en faisant des comparaisons critiques entre leurs pensées morales. Nous traitons des problèmes de la liberté, de l'Autre et de la responsabilité, sur lesquels Lévinas semble particulièrement contester Sartre.
Sartre fonde son ontologie sur un axiome : l'homme est libre. Ce n'est pas sa situation mais un autre également libre qui limite sa liberté. D'autre part, l'Autre intériorisé en tant que valeur aliène la liberté humaine. Selon Lévinas, l'Autre paraît en face de moi venant d'au-delà de l'être ; il est donc irrécupérable par l'ontologie. Il est infiniment éloigné de moi bien qu'il soit mon prochain étant en moi. Et je suis infiniment responsable vis-à-vis d'Autrui. Pour Sartre, puisque les hommes sont également libres, ils devraient partager leur responsabilité.
Ainsi Lévinas et Sartre s'opposent-ils sur les points essentiels de leurs idées morales. Mais quand ils parlent du don à Autrui, ils semblent se rapprocher. Pour Sartre cependant, il s'agit du don réciproque des hommes égaux et libres, tandis que Lévinas insiste sur le don que je dois sans limite à Autrui. À l'heure actuelle, les gens se sentent bloqués dans des situations si enchvêtrées que la morale de l'engagement ne semble plus leur offrir de moyens de les dépasser. Nous ne nous étonnerons donc pas s'ils recourent plutôt à la morale d'au-delà de l'être, malgré le danger qu'elle soit détournée pour le service d'un totalitarisme ou d'une démocratie anomique.


Lire Journal du dehors et La vie extérieure d'Annie Ernaux en cours du français langue étrangère
Shiho OMIYA

Nous évoquons dans cet article la didactique de la lecture du journal intime, adaptée aux étudiants japonais, apprenant le français comme deuxième langue étrangère à l'Université. Nous avons voulu réfléchir à une méthode qui contribuerait à améliorer la situation de l'enseignement de français pour ce public. En effet, on considère que les étudiants n'y apprennent ni la langue ni la culture françaises au sens large du terme, en raison des heures de cours limités et de leur manque de motivation. Notre but est de montrer que l'utilisation du journal intime pourrait rendre le cours de français plus animé et efficace.
Pour ce faire, nous avons essayé de saisir les caractéristiques de ce genre, telles que la définition, la fonction, certaines problématiques, le statut et l'écriture. A partir de ces critères généraux, nous avons analysé Journal du dehors et La vie extérieure d'Annie Ernaux. Celle-ci y exprime le monde contemporain, en adoptant un point de vue spécial, celui d'insister essentiellement sur « le dehors ». Elle révèle ainsi quelques aspects de la société et de la culture françaises. Chaque fragment est composé des faits et de leur analyse. On y observe divers modes narratifs et registres de langue. Ses textes nous donnent à réfléchir sur le problème du narrateur et celui du destinataire du journal intime moderne. Contrairement aux critiques sur le genre, nous constatons ainsi la richesse du journal intime en tant que texte littéraire. Les apprenants seront ainsi sensibilisés à tous ces aspects du texte. En outre, les fragments des journaux intimes d'Annie Ernaux sont relativement courts, ce qui ne découragera pas les apprenants de ce niveau.
Nous avons donc dégagé de notre étude les avantages d'utilisation du journal intime en cours de FLE, qui serviront à établir une démarche pédagogique concrète.